„C'est une petite boutique, mais elle est très animée, on n'y accède pas par la rue, il faut passer par le couloir et traverser une petite cour, on arrive alors à la porte du magasin, au-dessus de laquelle est accrochée une petite pancarte portant le nom du propriétaire. C'est un magasin de blanc, on y vend du linge tout fait, mais plus encore de la toile au mètre.
Or, un non-initié qui vient pour la première fois au magasin trouve absolument incroyable qu'on vende une telle quantité de linge et de toile, ou plus exactement, puisqu'on n'a pas d'aperçu sur les résultats du trafic, que le commerce se fasse sur une pareille échelle et avec autant de passion. Comme je l'ai dit, il n'y a pas d'entrée directe par la rue, mais ce n'est pas tout, on ne voit pas non plus de clients entrer par la cour, et pourtant la boutique est pleine de gens et on en voit continuellement de nouveaux, tandis que les premiers se perdent on ne sait où.
En outre, bien qu'il y ait de larges rayons sur les murs, ils sont placés principalement autour des piliers qui supportent la voûte, laquelle est divisée en un grand nombre de petites sections. Par suite de cette disposition, il n'y a aucune place d'où l'on puisse savoir exactement combien il y a de gens dans la boutique, il en apparaît sans cesse de nouveaux autour des piliers, et le hochement des têtes, les gestes animés, le frottement des pieds dans la cohue, le bruissement de la marchandise dépliée pour que l'acheteur puisse choisir, les marchandages infinis et les différends dont le magasin entier paraît toujours se mêler même quand ils ne concernent qu'un vendeur et un client, tout cela agrandit la boutique au-delà de ses proportions réelles.
Dans un coin, il y a un réduit en bois, large, mais pas plus haut qu'il ne faut pour que des gens puissent s’y tenir assis, c'est le bureau. Ses cloisons de planches sont visiblement très solides, la porte est minuscule, on a évité les fenêtres, il n'y a donc qu'un judas, mais il est fermé au-dedans et au-dehors par un rideau; malgré toutes ces précautions, il est surprenant que quelqu'un, avec tout le bruit qu'il y a dehors, puisse trouver là le calme nécessaire à un travail d'écritures.
Parfois, la portière sombre qui couvre la porte à l'intérieur s'écarte et l'on voit apparaître un petit employé de bureau dont la silhouette emplit toute l'ouverture et qui, la plume derrière l'oreille, la main sur les yeux, considère avec curiosité, à moins que ce ne soit parce qu'il en a reçu l'ordre, le tohu-bohu du magasin. Mais cela ne dure pas longtemps, déjà il se glisse à l'intérieur et laisse retomber la portière derrière lui avec une telle rapidité qu'on ne surprend pas la moindre lueur à l'intérieur du bureau.
Il y a une certaine relation entre le bureau et la caisse. Celle-ci est placée juste à côté de la porte du magasin et est tenue par une toute jeune fille. Elle n'a pas autant de travail qu'on pourrait le croire d'abord. Tout le monde ne paie pas comptant, c'est même la minorité des gens qui le font, il est clair qu'il existe encore d'autres possibilités de règlement.”
— Franz Kafka, Préparatifs de noces à la campagne, pp.330
t'drejtat e takûme
vaj veshhôlli
Genève
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